La Société des Angéliques
LA SOCIETE DES ANGELIQUES
La Société Angélique, encore appelée " le Brouillard ", est une société secrète littéraire et artistique, négligée par les historiens parce qu'elle n'a pas joué, apparemment, de rôle politique. Elle fut fondée par l'imprimeur lyonnais Gryphe au XVIe siècle. Celui-ci, de son vrai nom Sébastien Greif, était originaire de Reitlingen en Wurtemberg et s'était installé à Lyon en 1522. Il avait complété l'adoption de son pseudonyme par l'emblème d'un griffon, qu'il aurait emprunté au nom grec Néphès -le Brouillard -qui désignait le Principe Universel, puisque : " C'était la nue, le nuage, qu'embrassait Ixion et que les Grecs nommaient Gryphe, l'embrouillée, avec une tête de boeuf pour hiéroglyphe ".
Rabelais, qui affirma sa qualité de maçon accepté à plusieurs reprises , assimilait de son côté dans le Cinquième Livre (Chapitre XI) le griffon au sphinx. Guillaume Postel et Antoine Fumée firent explicitement référence à la Société Angélique en accusant Rabelais, leur contemporain, d'appartenir à une société secrète dont Postel soulignait, en 1452, le caractère pernicieux, « si même elle ne nie pas Dieu directement ou indirectement comme ils disent et ne s'efforce pas de le chasser de son ciel » . En effet, dans Pantagruel (livre V, chapitre XVIII) Rabelais rend hommage au « Viet d'aze ( ... ) nostre unique Elixo [élixir] ». Or le Viet d'aze, en provençal, n'est autre que le visage d'âne. Et l'âne rouge était le symbole du dieu égyptien Seth, meurtrier de son frère Osiris.
Selon Grasset d'Orcet , autour de l'imprimeur allemand Gryphe s'était ainsi groupée une pléiade de savants et de la littérateurs qui s'intitulait la Société Angélique. Aggelos signifie le messager, le porteur de nouvelles ; et la Société Angélique était une sorte d'agence de correspondance occulte utilisant le codage par le lanternois, le patelinage, le grimoire. Bref une cabale phonétique particulièrement ardue à décrypter pour qui n'a pas été initié à cette " langue des oiseaux ". La « bible » de la Société Angélique était le Songe de Poliphile, achevé en 1467 par Francesco Colonna, un dominicain né à Venise en 1433, qui ne fut très certainement que le porteparole d'un cénacle occulte. Le Songe fut édité dans la cité des Doges en 1499 par le célèbre Alde Manucce dit l'Ancien.
On pouvait y lire l'avertissement de Leonardo Grasso, magistrat de Vérone qui avait subventionné l'impression du livre : « Ce qui s'y trouve n'est pas fait pour être dit dans les carrefours ; mais vient d'une nourriture philosophique, est puisé aux sources mêmes des muses, exprimé dans un langage magnifique, et mérite la gratitude des hommes de science. » On ne saurait être plus clair, et c'est bien de tout l'ouvrage la seule sentence que l'on puisse y déchiffrer sans recourir à un système cryptographique quelconque. Si le texte, abscons et totalement codé, est d'un ennui mortel, le lecteur non initié peut toujours tenter sa chance avec les superbes gravures qui, depuis des siècles, font la réputation méritée de l'œuvre. Malheureusement, leur beauté dissimule à peine leur caractère hiéroglyphique ; et c'est donc à un extraordinaire cryptogramme que l'on est confronté. Malgré ces quelques petits défauts rédhibitoires sa première traduction française date de 1546 et, très vite, l'ouvrage eut une fortune étonnante. "
Réédité par Jacques Kerver en 1553 et en 1561, légèrement corrigée et succinctement commentée par l'occultiste Béroalde de Verville (Paris, Matthieu Guillemot, 1600), l'Hypnérotomachie française abrégée exerce sur l'art et la culture de notre pays, durant plusieurs siècles, une notable influence. Elle inspire les dessinateurs et les peintres, chargés de mettre au point les fastes décoratifs des entrées royales. Elle féconde l'imagination plastique de Poussin, de Lesueur, de Perrault . Elle fournit à Charles Nodier [grand maître du Prieuré de Sion selon les documents Lobineau] l'occasion de rêveries apocryphes ( ... ). Elle transporte enfin d'un délirant enthousiasme Gérard de Nerval. "
Mais plus intéressant encore, la Société Angélique a entretenu des liens étroits avec la Rose-Croix « officielle » comme l'indique - outre la similitude entre la vignette illustrant les textes de la Rose-Croix parus en 1616 (serpent enlaçant une ancre) et le dauphin du Songe - la quasi-identité entre des passages des Noces chymiques de Christian Rosenkreutz et le Songe de Poliphile. Aussi « les écrits attribués au Souabe Johann Valentin Andreae (1586-1654) sont un précieux maillon de cette chaîne qui joint le Songe de Poliphile de Francesco Colonna, de 1499, le Cinquième Livre de François Rabelais, de 1564, le Voyage des Princes Fortunés de Bréroalde de Verville, de 1610. Par leur beauté littéraire et par leur richesse spirituelle, philosophique, ils démontrent l'intérêt non seulement scientifique d'une connnaissance approfondie d'une histoire de l'occultisme".
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