La solitude du désert
La solitude du désert
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'intérieur de l'homme est un désert, un vide pour Cioran, un abîme pour Victor Hugo, Hermann Hesse, Gérard de Nerval, Pascal, Paul Valéry et tant d'autres. L'invitation à se connaître de toutes les initiations n'est rien d'autre qu'un appel à prendre conscience de son propre désert. C'est une vision à la fois de sa misère et de sa grandeur.
L'homme de l'initiation doit s'arracher du monde, obstacle à la réflexion qui empêche la spéculation de l'absolu en lui. Seuls les solitaires ont accès au Royaume, disait Guillaume de St Thierry au XIIe siècle.
Cet enseignement peut être retrouvé dans les textes et catégories de pensée qui évoquent le thème du désert et de la quête, thème qui apparaît dans la plupart des religions et traditions initiantes.
Ce que l'on peut retenir dans ces hiéro-histoires, c'est que le désert permet un temps sacro-saint, où s'accomplit l'expérience religieuse ou mystique, où s'abolit la différence du saint et du sacré.
C'est un mouvement par lequel l'homme en se recueillant au désert, s'élève à la transcendance (souvent appelée Dieu ou le divin). Dans sa quête, le désert est l'épreuve et le lieu du combat contre le principe du Mal. En ce sens c'est un lieu de passage: se quitter soi-même, abandonner son moi superficiel pour trouver son Soi.
Il est comme un centre de labyrinthe où se vivra aussi l'expérience fécondante de la solitude et des combats Mais cette solitude, cet esseulement n'est jamais le lieu où doit se fixer définitivement l'initié.
Le désert, lieu où la quête ne s'y achève pas, conduit à une deuxième naissance, celle de toutes les terres promises. En initiation, le désert n'est qu'un passage.
Dans le désert, le pèlerin des sables se meut au contact de l'infini. Il s'immerge dans l'alliance de la terre et du ciel, dont le cœur en est le foyer de convergence. La contemplation, la theôria, ne peut qu'être expérience, un moyen de connaître des faits que l'on ne voit pas, de trouver une condition humaine autre.
Dans Terre des hommes, St Exupéry écrit : En arpentant un sable infiniment vierge, j'étais le premier à faire ruisseler d'une main dans l'autre, comme un or précieux, cette poussière de coquillages. Sur cette sorte de banquise polaire, qui de toute éternité n'avait pas formé un seul brin d'herbe, j'étais comme une semence apportée par le vent, le premier témoignage de la vie. Puis sur cette surface où s'allient la vie et la mort, ramassant un caillou noir, pluie noire des étoiles dans le désert, en un saisissant raccourci de sa méditation, St Exupéry assiste à cette lente averse de feu.
Il abandonne ici ses yeux de chair et réhausse son expérience sensorielle au rang d'une expérience initiatique. Le passage minéral, le règne de la pierre brute et du sable d'or deviennent présentation hiératique de l'absolu où se retrouvent les mots de la métamorphose alchimique. La minéralogie mystique est un espace figuratif dans lequel se retrouve ce que Gaston Bachelard appelle à juste titre un psychisme « lithognomique » sur la voie d'une renaissance spirituelle.
Cette relation alchimique au minéral, féconde toute la métamorphose de l'ermite en pèlerin.
Toute retraite dans la solitude du désert commence comme un renoncement au monde, comme une solitude nécessaire au dépouillement de l'homme ancien. La marche au désert ne se laisse plus appréhender selon des coordonnées horizontales de distance parcourue, mais selon celles de la profondeur Le passage par le désert consiste d'abord en une désertification intérieure, au sens où la mort minérale des paysages géologiques devient l'image de la mort que l'on désire pour renaître à l'initiation. A travers ces figures de la mort, la retraite au désert de sable ou d'immensité marine correspond, dans la démarche initiatique, d'abord à une descente régressive vers les premiers moments du monde, vers l'originaire et les profondeurs spirituelles, puis en s'inversant, elles correspondent à la progression ascendante, en authentique pèlerinage, en quête. L'aurore de la vie et de la lumière sera transfigurée par la source d'eau ou le buisson ardent. Ainsi, du néant absolu « la grâce flue de la fontaine divine, elle est un ressemblance divine, elle a la saveur de Dieu et rend l'âme semblable à Dieu » écrit Maître Eckhart.
Descente et remontée, dans l'alliance de la terre et du ciel, et dans le silence de l'apprenti, n'est-ce pas là aussi le chemin que nous propose
Dans l’isolement du mutisme imposé, la colonne B et la colonne du nord sont comme un désert pour le myste.
Là s'éveille le désir d'un lieu dont on pressent l'existence, mais dont on ne connaît encore ni l'éloignement, ni la configuration. Le voyageur ne s'identifie plus au conquérant assuré de ses trajets, ni à l'errant désorienté qui fuit, mais au pèlerin, à la quête de cet ailleurs dont on lui a parlé. La colonne B imaginalise dans l'épiphanie du désert le 4ème pilier du temple.
Le pèlerinage du parcours initiatique conduit au pays « du-non-où» au 4ème pilier, qui, comme une promesse, attend le FM, au delà de son désert intérieur traversé.
L'horizon désertique, la solitude instaurent une distance entre le fini et l'infini mais se refuse à toute appropriation. Je ne suis pas propriétaire de l'horizon, mais j'essaie de l'atteindre. Et comme l'écrit Lévinas: « L'infini n'est pas totalisable, il n'est pas objet de connaissance - ce qui le réduirait à la mesure de celui qui le contemple - mais il est désirable (ce qui suscite du désir), il est approchable par une pensée qui, à chaque instant, pense plus qu'elle pense. C'est le désir qui mesure l’infinité de l’infini. »
Et avec Corbin qui écrit :
Le pèlerin, le salek, répond à l'appel de I 'espace:
Plus outre, toujours ailleurs.
Il est l'Errant, le Renonciateur.
Nous ajouterons, il est le désirant.
La voie contemplative qui dispose l'homme à se faire accueil et à écouter la transcendance, est aussi celle par laquelle il apprend à donner en apprenant à recevoir; celle où on sait que le centre de lui-même est à l'extérieur et qu'au commencement est non pas le Je, mais le Tu.
En quoi le désert coïncide-t-il avec le temple ?
Quelques références :
Cioran: Durant toute la matinée, je n'ai fait que me répéter « l'homme est un abîme, l'homme est un abîme » - il m'est hélas impossible de trouver mieux.
Valéry: Nous vivons visiblement, mais l'intérieur est un abîme, note-t-il en apprenant la mort de Mallarmé.
Victor Hugo: Tout homme a son pathos...II s'obstine à cet abîme attirant, à ce sondage de l'inexploré, à ce désintéressement de la terre et de la vie, à ce regard sur l'invisible; il y vient, il y retourne, il s'y accoude, il s'y penche, il y fait un pas puis deux, et c'est ainsi qu'on pénètre dans l'impénétrable, et c'est ainsi qu'on s'en va dans les élargissements sans bords de la méditation infinie.
Charles Baudelaire:
Je sens s'élargir dans mon être
Un abîme béant; cet abîme est mon cœur
Brûlant comme un volcan, profond comme le vide !
Alexis Klimov : « Par l'abîme comprendre l'homme cette démarche, un Stéfan Zweig, par exemple, l'a faite sienne. C'est ce qui lui a permis d'écrire ces pages inoubliables à travers lesquelles, tout en approfondissant l'exploration de son propre abîme, il découvre celui de ses compagnons éternels Holderlin, Kleist, Stendhal, Balzac, Dickens, Dostoiesvski, Tolstoï, Nietzsche… ».
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