NAUVOO LODGE

NAUVOO LODGE

La tradition maçonnique à l'épreuve du temps

La tradition maconnique à l’epreuve du temps
tableau_loge4.jpgS’il existe un sujet polémique en maçonnerie, c’est bien celui de la tradition maçonnique. Bien évidemment chaque maçon a sa conception propre de cette tradition sans bien savoir, en vérité, ce qu’il y met lui-même dedans : quelques légendes, un brin d’histoire pas toujours maîtrisée, la compréhension de sa démarche personnelle. Un maçon s’inscrit dans une lignée d’autres maçons, qui l’ont précédé, et cette lignée - la chaîne d’union dans le temps - s’ajoute à l’ensemble des maçons vivants sur la planète, dans des pays qui ont leur propre histoire maçonnique - la chaîne d’union dans l’espace. Cette planche essaie non pas de définir la tradition maçonnique (tentative vouée dès le départ à l’échec) mais d’envisager comment ces traditions s’inscrivent bon gré mal gré dans les exigences du temps présent.
La tentation de la “Régularité” métaphysique
C’est un sport commun à beaucoup de francs-maçons : affirmer qu’on détient les véritables règles de la tradition maçonnique et, par conséquent, rejeter ceux qui ne partagent pas ces règles dans un statut d’irrégularité. Il s’agit d’un débat somme toute dérisoire, au regard des questions urgentes de l’humanité, mais il pose en vérité la question du rôle du franc-maçon dans la société.

La reconnaissance et la lignée, fondement de la régularité
Pour d’autres, la régularité maçonnique va prendre un chemin plus concret, mais somme toute plus difficile à suivre. Un maçon régulier est un maçon initié par d’autres maçons régulièrement initiés dans les mêmes conditions. La meilleure volonté du monde ne permet pas à un groupe d’hommes ou de femmes non initiés dans une loge régulière de fonder une loge maçonnique, quand bien même respecteraient-ils les règles, les rituels, les principes de l’Ordre maçonnique.

Un maçon régulier peut ainsi réaliser sa propre généalogie maçonnique, en considérant la lignée de tous ceux qui ont été initiés jusqu’à lui, en remontant aux origines de la franc-maçonnerie. Cette recherche généalogique bute évidemment sur les contraintes de toute généalogie : plus on remonte dans le temps, moins les documents sont nombreux ou fiables. C’est ainsi que nous ignorons aujourd’hui les origines réelles de la franc-maçonnerie moderne, parce que nous ignorons tout des plus lointains ancëtres.

Les maçons modernes, dès le 18ème siècle, ont contourné cette difficulté en établissant la règle de la reconnaissance. A la question “Etes-vous maçon ?”, il est répondu “Mes frères me reconnaissent comme tel”. La qualité maçonnique est donc constamment remise en jeu, uniquement conditionné par l’appréciation des autres. Le statut de franc-maçon n’est jamais acquis définitivement, il se mérite et se lit dans le regard des autres qui jugent de cette qualité en fonction de la personne, de son comportement moral, de son travail.


La tradition, musée ou sève ?
La notion même de tradition suppose la transmission. Transmission des principes, des règles, des exigences intellectuelles. Cette notion est valable dans tout groupe humain. Depuis l’aube de l’humanité, les traditions ont évidemment évolué et personne ne revendique aujourd’hui de prendre nos repas selon les habitudes de l’homme de Cro Magnon ! Il n’est cependant pas douteux que depuis cette lointaine époque, les traditions ont suivi un lent mais régulier mouvement d’adaptation aux conditions nouvelles : technologiques bien sûr, mais aussi démographiques, commerciales, politiques. Il y a continuité mais non conservatisme. On ne peut donc concevoir une tradition qui serait figée dans des principes anciens sans prendre le risque d’un immobilisme collectif suicidaire.

Pas plus qu’une autre organisation humaine, la franc-maçonnerie n’a pas vocation à devenir une “réserve d’indiens”. S’appuyant sur l’héritage du passé et en prenant en compte les leçons des temps anciens, les francs-maçons se doivent aussi de s’inscrire dans le temps actuel. Il ne s’agit pas de cultiver une tradition qui telle un arbre mort ne connaitrait jamais de jeunes pousses, qui ne verrait jamais tomber ses branches mortes pour en voir repousser de nouvelles plus vigoureuses. En cela, les francs-maçons du siècle des Lumières, fondateurs de la franc-maçonnerie moderne, avaient déjà tracé la voie en élagant les rituels médiévaux pour construire un ensemble rituélique orienté vers la philosophie et vers la société. Se nourrir du passé pour progresser aujourd’hui est le fondement de l’idéal maçonnique : la tradition maçonnique devient alors une référence, un rappel du point de départ, mais certainement pas un dogme immobile, comme on l’entend encore trop fréquemment dans certaines loges ou certaines obédiences conservatrices.


Landmarks et rituels : fondements de la tradition maçonnique ?
Les “landmarks” sont une série de principes - tel l’obligation de croire en Dieu ou l’interdiction faite aux femmes d’entrer en maçonnerie ou encore l’interdiction d’aborder les sujets politiques ou religieux - édictées par certaines obédiences pour déterminer la régularité d’autres obédiences. Ces landmarks sont à géométrie très variable et les obédiences les plus conservatrices, comme la Grande Loge Unie d’Angleterre, qui dénoncent toute évolution, ont elle-mêmes modifié leur propres landmarks de nombreuses fois en deux siècles. Ces évolutions sont dues aux situations socio-politiques que rencontrent les obédiences maçonniques à un moment précis dans leur pays. Comment, dans ce contexte, imposer de tels landmarks au reste du monde maçonnique ? Comment suivre pas à pas les caprices circonstanciels des uns ou des autres ?

Les rituels maçonniques, pour être évolutifs, n’en sont pas moins les meilleurs outils de la tradition maçonnique. L’ouverture des travaux en loge, les cérémonies de réception ou d’initiation, les prises de parole, les symboles d’ancienne maçonnerie qui sont attachés à chacune de ces étapes puisent à la même source, qui fait qu’un maçon en voyage, même s’il ne comprend pas la langue, saura toujours ce qui se dit ou se réalise devant lui, saura toujours ce qu’on attend de lui. Malgré toutes les évolutions et l’apparition de rituels différents, nous pouvons imaginer qu’un maçon du 18ème siècle transporté à notre époque serait perturbé par beaucoup de nos comportements modernes sauf en loge où il retrouverait l’essentiel de sa pratique rituelle. Ce maçon voyageur dans le temps ne serait pas plus dépaysé que nous le sommes nous-mêmes lorsque nous visitons une loge en Inde ou au Mexique.

Cette mesure du temps et de l’espace qui pontue les rituels maçonniques garantit la permanence de l’idéal maçonnique dans le coeur de chacun. A chaque outil - l’équerre, le compas, l’étoile flamboyante, la disposition de la loge selon une géométrie cosmique - correspondent des valeurs dont la signification peut varier (c’est l’évolution normale) mais dont le fond reste identique parce qu’il est constitutif de l’être humain : le besoin de fraternité, le jugement droit, l’ouverture d’esprit, l’idéal de perfection, l’introspection sont rassemblés, concentrés et codifiés en loge mais appartiennent bien aux aspirations de tous les hommes de bonne volonté.


Epreuve du temps ou preuve du temps ?
On peut vouloir lutter contre la fuite en avant d’une époque moderne, matérialiste, qui cache ses misères humanistes derrière des montagnes d’argent, de biens possédés et de technologies galopantes. La destinée humaine n’est guère enviable : longue succession de guerres et de malheurs, inégalité fondamentale des hommes entre eux, tour de Babel de l’intolérance. Le monde moderne semble amplifier les tares humaines - guerres désormais mondiales, inégalité érigée en principe socio-économique, intolérance meurtrière mondialisée - sans que nous percevions la moindre amélioration de l’âme humaine depuis la plus lointaine préhistoire.

On peut vouloir épargner certains ilôts de l’humanité de cette triste modernité et, en maçonnerie, ne pas accepter la pénétration du monde dans ce que la tradition maçonnique nous a permis d’acquérir, au fils des ans. Vivre ainsi sur une île déserte, une planète vierge de toute pollution amorale apparait pour certains maçons la seule solution pour préserver l’idéal maçonnique.
Dans ce contexte, le temps est réellement une épreuve à endurer et contre laquelle il faut lutter chaque jour pour échapper à son emprise. C’est une aspiration respectable qui court cependant le risque de l’isolement monachique, de l’égoïsme collectif. Le temps est là, le monde est là et les maçons sont des hommes et des femmes au milieu des autres qui ne peuvent pas demeurer étrangers aux tourments de l’humanité pour se consacrer exclusivement au perfectionnement de leur seule personne.

Mais la tradition maçonnique, en acceptant et en intégrant la modernité, aussi laide soit-elle, peut apporter la preuve de sa validité voire de sa nécessité actuelle. L’actualité de la tradition maçonnique, le désir d’un grand nombre d’intégrer cette lignée doit prouver le bien-fondé d’une telle démarche dans le monde moderne. C’est certainement en apportant la preuve de sa résistance au temps que la tradition maçonnique accomplira au mieux l’idéal des fondateurs, philosophes et humanistes du siècle des Lumières.



10/06/2007
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 113 autres membres