Le langage maçonnique
Le langage maçonnique
Avant même ...
Dans la pénombre austère du cabinet de réflexion, les bruits ... Des bruits incohérents tel un fœtus peut les percevoir du sein de sa mère, il s'en imbibe, il ne les comprend pas.
Comment pourrait-il de la noirceur de son enveloppe comprendre des sons distordus par le doux liquide qui le baigne? Comment du fond de ce sombre cabinet l'impétrant profane pourrait-il comprendre, ce qu'il n'a même pas vu !
Et pourtant, il apprendra à comprendre ce langage, car il le saura plus tard, le Franc-Maçon témoigne par ses actes et non par ses écrits sur la Franc-Maçonnerie. Il est maintenant évident, il faut l'apprendre. Il va passer du stade de muet, à celui du balbutiement et ensuite de la parole. Ce ne sera pas suffisant, à écouter les planches qui occupent et ornent nos travaux, l'envie naîtra certainement et le fera passer à l'étape du discours voire de la rhétorique. Et là, la méditation va reprendre le dessus et pour méditer avec force et vigueur, il faudra le silence et pour faire silence, il faut redevenir muet !
Mort ?
Non
Le testament terminant la vie profane, est une fin. Il faut donc finir pour recommencer ou mourir pour renaître à une nouvelle vie ... Il faut passer du matériel à l'immatériel. Faudrait-il se taire pour parler ?
C'est ce cycle que nous parcourons sans cesse dans nos travaux et dans notre vie profane et qui, à de multiples occasions revient sur le devant de notre vie symbolique. Il n'y a jamais de but fini, mais tel les mirages, il y a un point de fuite inaccessible et bien connu des architectes qui l'utilisent pour transcrire des formes complexes sur les plans qu'ils ont conçus. Il brille de son immatérialisme dans la réalité.
L'écoute.
L'incohérence apparemment totale du rite ne permettrait-il pas l'apprentissage ? Question légitime que l'on se pose après avoir passé de nombreuses journées sur la colonne du Septentrion. Au contraire, l'écoute patiente de propos qui passent de l'Occident à l'Orient puis au Midi mettent l'apprenti en situation et lui permette raisonnablement de se familiariser avec les propos qui l'entourent. Finalement, il est possible de réaliser que de s'interdire de parler pour s'astreindre à écouter est une excellente discipline intellectuelle.
C'est par cette écoute auditive et visuelle également, que petit à petit les propos entendus s'animent dans son esprit et que la compréhension peut se faire dans ce langage imagé et symbolique qui lui avait paru si flou et si abscons lorsque les sons étouffés lui étaient parvenus alors qu'il croupissait dans le cabinet de réflexion. C'est alors que l'apprenti peut s'astreindre à son premier devoir dans ce domaine qui consiste à méditer les enseignements du rituel afin d'y conformer sa conduite. Il apprend alors à juger sans le moindre parti pris, c'est ainsi qu'il tend à devenir penseur.
Que de mystères incompris que de d'incertitudes suscitées à cette occasion ?L'incompréhension engendre le doute et la méfiance qu'il faudra dissiper par un long travail d'observation et d'apprentissage. Aussi surprenant que ce soit, l'écoute est également visuelle. Là encore, la force du langage du geste peut être fort intime et de là, ne suscitera pas de trouble de confiance tel que ceux évoqués ci-dessus. L'écoute ou le décodage du geste n'est-elle pas la plus subtile manière de comprendre un frère. N'est-elle pas celle qui est la plus intime au sens de la fraternité celle qui permet de se comprendre avant même de s'être parlé ? Il est l'outil symbolique afin que les initiés puissent se distinguer des profanes.
Mais de loin, n'est-ce pas le plus dangereux aussi car le plus difficile, celui que l'apprenti appréhende le moins bien. Ses frères plus expérimentés rompus à cet exercice manient ce langage avec une dextérité que l'apprenti ne saurait soupçonner. La preuve, il doute et il présume qu'avec la lumière qui filtre à son degré ce qui lui appert est entaché d'incohérences qu'il ne pourra comprendre qu'une fois le travail sur lui-même suffisamment avancé.
Il aura aussi pu vérifier que ce langage usé en loge est un langage structuré. C'est de la musique, en effet point d'improvisation, chaque prise de parole est orchestrée par les frères Surveillants et déclenchée par l'approbation du Vénérable. Les frères écoutent sagement sur leurs colonnes le déroulement des travaux, point de prise de parole inopinée, le résonnement des maillets ponctuent les dialogues tel des métronomes. Chaque frère a droit à sa prise de parole, tout frère absent engendre une perte de cette union harmonique, cependant, sa présence à elle seule contribue à la solidité de la fraternité. Au demeurant, que serait cet ensemble symphonique à qui il ne manquerait ne serait-ce qu'un seul musicien? Au demeurant même le chef d'orchestre finirait par être distrait à chercher son musicien absent.
Le Vénérable également, sait de même donner la parole de façon mesurée sur les colonnes et que ne ressent-il pas, lorsqu'elles sont muettes alors qu'elles ne devraient pas l'être. N'est-ce pas là une sinistre intrusion dans le temple par de fâcheux rites profanes qui tentent de repousser le langage maçonnique sur les parvis. Le silence de désapprobation est stérile et c'est bien celui-ci qui tend à régner dans ce cas.
Alors que, le silence dû à la méditation est porteur de fruits innombrables. Pour harmoniser le fruit résultant de ces travaux, une répartition des prises de parole permet de faire régner l'équité entre frères, l'équilibre entre les opinions et cela est rendu possible par l'usage de ce langage de loge qui par sa précision, sa concision permet une communication harmonieuse de la pensée entre frères. Ce langage est aussi un gage de bonne compréhension entre frères. Point de petits comités ou de conversations privées, d'ailleurs proscrites par les constitutions d'Andersen.
En effet, dans la vie profane également nous devons parler un même langage pour nous comprendre. Celui qui ne parle pas notre langue est un étranger. Il est possible d'apprendre sa langue et de le maintenir dans son statut d'étranger ou bien il apprend notre langue et s'assimile. La grande différence vécue dans la loge, est que une fois initié avant même de parler le langage maçonnique, le profane est reconnu comme un frère. N'est-ce pas là la grande différence entre la vie profane ou règne le doute et la suspicion et la vie initiée ou règne la confiance et la fraternité ?
Les balbutiements.
Puis vient le moment où ce qui lui apparaît être une banalité, l'apprenti souhaite prendre la parole. Son parrain va alors également se joindre à lui par le geste qui consiste à se lever comme lui et qui peut paraître insigne. Cependant il est des plus rassurant pour l'apprenti orateur de voir qu'il est accompagné et que ce signe signifie symboliquement qu'il est couvert c'est-à-dire que son parrain endosse la responsabilité de son propos.
Alors qu'il chemine dans son allocution, !'apprenti surveille d'un oeil attentif les faits et gestes de son parrain qui ne manquerait pas de tressaillir au moindre écart de forme des paroles de son filleul. C'est ce réglage continu de la parole et de la gestuelle qui fait progresser son poulain sur le chemin de la vie de l'apprentissage du langage maçonnique.
On évite ainsi l'intrusion de mots inappropriés tel qu'il s'en insère dans le vocabulaire des enfants dans la vie profane. N'est-ce pas ainsi que le langage s'acquiert sans fausse note sans aspérités d'une manière harmonieuse et suave ?
Je vous le dis, mes très chers frères, cette méthode ferait bon de transpirer dans le monde que nous côtoyons et apprécions le fait de pouvoir nous exercer à l'abri du profane et de ses rodomontades fort peu constructives. Non, ici sous le couvert du temple je peux vous exprimer ma pensée sans crainte. Rien ne sortira d'ici et n'est-ce pas non plus une caractéristique de notre langage tenu dans le temple ?
Si la parole est éphémère, la pensée elle subsiste et n'est-ce pas là aussi cette facette de notre langage secret. Secret car il n'est pas accessible au profane et dans ce cas non pas qu'il fut composé de mots ou de symboles incompréhensibles, mais que cette fois-ci il est inaudible d'une part grâce à la couverture du temple et de toute manière un langage si subtile et si fin est couvert par le brouhaha de la vie profane.
Initié, instruit de ces lois, l'apprenti s'applique à se taire. Il se concentre, afin d'imprimer à ses idées une plus haute tension.
Le mur ou les marches.
Bien sur, comment aurait-il pu savoir ! Afin de développer des talents d'orateur, le sage lira ou consultera des ouvrages de ses prédécesseurs. Mais comment l'apprenti le pourrait-il, lui qui ne sait ni lire ni écrire et de surcroît n'a pas reçu complètement la lumière! De surcroît avec son petit âge, trois ans, la tâche paraît bien difficile voire insurmontable! N'ayant gravi que trois marches de l'échelle de la connaissance, il est loin d'apercevoir ce qui se passe derrière le mur qu'il doit franchir pour parvenir à un degré supérieur !
Pourquoi dit-il, je ne sais lire ni écrire ? A quoi se rapporte cette ignorance ? Au langage emblématique employé dans la Franc-Maçonnerie.
On sait que les emblèmes sont des symboles, car sur un emblème, la place est mesurée, on ne représente pas tout. Cependant, on dispose avec harmonie les éléments essentiels de ce que l'on veut représenter afin que cela fut compréhensible sans gaspiller de la hampe ou de l'étendard. De même, dans la loge nous utilisons notre langage avec harmonie et parcimonie en exprimant l'essentiel sur le tapis du temps si précieux, sachant que celui-ci se déroule de midi plein et se termine déjà à minuit plein.
L'apprenti, entouré de frères fidèles à leur serment, sait que le travail de compréhension doit se faire seul, l'ascension n'est pas possible sans une forte implication personnelle. Il attend stoïquement que la vérité se fasse jour. Il ne cherche pas à étonner en exposant des idées hardies, il apprend. Il sait que ses frères ont des obligations envers les uns et les autres, il attend alors en confiance en se faisant aider de ci et de là à construire l'outil qui lui fera franchir l'obstacle. Le ressentir ou la pensée exprimée par des expressions faciales fait également qu'on le veuille ou non partie du langage maçonnique qui échappe bien entendu au profane voire même à l'apprenti.
Derrière.
Oui, après qu'y a-t-il ? N'est-ce pas un recommencement ? Un retour dans des limbes qui ramèneront inlassablement l'impétrant devant sa réalité. Non jamais sa diction son élocution ne seront parfaites, toujours il y aura quelque chose à ajouter à son vocabulaire mystique, toujours il y aura de quoi parfaire sa syntaxe amener une ellipse à sa prose afin que la symbolique maçonnique soit présente ou sous jacente à sa pensée.
Que de phrases, expressions ou termes échappent à l'oreille du profane ou du frère de degré inférieur, que de communications partielles et incomplètes. Mais il s'agit de parfaire cet apprentissage maintenant que le dialogue peut s'instaurer et que l'apprenti peut par un processus itératif apprendre à corriger son propos en calquant celui-ci sur celui de ses frères de degré supérieur par définition plus expérimentés que lui.
Il va devoir sans cesse s'améliorer afin de pouvoir un jour transcrire le projet social qui sommeille dans chaque maçon en un projet d'architecture resplendissant de force, de sagesse et de beauté. Il n'oubliera pas que les intelligences sont faibles, il faut donc se comporter avec modestie dans son langage aussi. Plus d'un maçon s'est vu marginaliser par une érudition exagérée qui indispose le frère moins à l'aise que lui car moins instruit et par-là sur un moindre degré. Il se rencontre donc une part de vrai dans toutes les opinions même exprimées dans un langage simple. Nul est dans l'erreur absolue, et nul d'autre part ne peut se flatter de posséder la vérité parfaite. Une vérité peut cependant être exprimée symboliquement afin qu'elle ne froisse pas son destinataire.
Et n'est-ce pas la force de cette symbolique mystique de pouvoir exprimer l'inexprimable sur le plan de la fraternité maçonnique. Elle permet de susciter la réflexion sans être invasive, elle préserve l'intégrité du destinataire du discours sans tomber dans le ridicule de la fable. Ne cherchons pas à imposer notre manière de voir, mais amenons-nous à nous découvrir afin que notre interlocuteur perçoive ce que vous avez trouvé vous-mêmes. Que de subtilités, de délicatesse, d'empathie à faire acheminer par notre langage symbolique !
Et, souvenons-nous qu'il y a toujours deux langages, le langage public et le langage secret, les grands hommes ont bien deux langages, mais ils sont parallèles. Ce parallélisme est garant d'une droiture de conduite qui est une des premières conditions exprimées dans les constitutions d'Andersen lorsqu'il parle des loges.
Ce langage imagé fascinant, cette gestuelle symbolique, ces attouchements discrets, la tenue et la posture du maçon ne sont-ils pas tout le mystère qui allie la parole à l'acte et l'éphémère à l'éternité. La parole immatérielle constituant essentiel du langage, le geste constituant essentiel du comportement ne pourront jamais être percés par les oreilles et les yeux profanes, car il est réservé l'image de l'apprenti construisant son temple intérieur avec ses frères dans la sérénité de son atelier.
"Les hommes les plus sages sont les plus brefs dans leurs discours. Si les bavards souffraient ce qu'ils font souffrir aux autres, ils ne parleraient pas tant." (Apollonius de Tyane)
(Source : Grand Orient de France)
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