NAUVOO LODGE

NAUVOO LODGE

Le tableau de loge de Mâitre

Le tableau de loge de Maître

par Patrick Négrier


Dans mon ouvrage consacré aux tableaux de loge (Temple de Salomon et diagrammes symboliques), j’ai basé mon étude du tableau de loge de maître principalement sur l’icône de ce tableau de loge publiée par Gabriel-Louis Pérau dans l’Ordre des francs-maçons trahi (1745). Je ne mentionnais pas dans mon étude les deux passages où Pérau décrit verbalement le tableau de loge de maître, description qui diffère partiellement de l’image du tableau de loge de maître qu’il publia dans son ouvrage. C’est pourquoi j’aimerais ici commenter brièvement les deux descriptions verbales que Pérau fit de ce tableau de loge de maître. Relisons à présent ces deux passages :

« Lorsqu’il s’agit de recevoir un maître, la salle de réception est décorée de la même façon que pour la réception des apprentis et des compagnons ; mais il y a plus de figures dans l’espace qui est décrit au milieu. Outre les flambeaux placés en triangle et les deux fameuses colonnes dont j’ai parlé, on y décrit, du mieux que l’on peut, quelque chose qui ressemble à un bâtiment qu’ils appellent palais mosaïque. On y dépeint aussi deux autres figures ; l’une s’appelle la houppe dentelée, et l’autre le dais parsemé d’étoiles. Il y a aussi une ligne perpendiculaire sous la figure d’un instrument de maçonnerie que les ouvriers ordinaires appellent le plomb ou l’aplomb. La pierre qui a servi à ces figures reste sur le plancher de la chambre de réception. On y voit de plus une espèce de représentation qui désigne le tombeau de Hiram » 1.

Cette première description verbale du tableau de loge de maître contient six figures apparemment propres au degré de maître et que nous devons analyser ici.

Le palais mosaïque

J’ai montré dans mon livre sur les tableaux de loge que dans la légende d’Hiram, ce dernier était une figure allégorique de Jésus de Nazareth, et que les trois pas accomplis par le nouveau maître maçon lors de sa réception au troisième degré au-dessus du tableau de loge de maître représentait les trois trajets successivement accomplis par Jésus depuis le sanhédrin du grand-prêtre juif Caïphe (Mt. 26,57) au palais du gouverneur romain de Judée Ponce-Pilate (Lc 23,1-6), puis de ce dernier au palais du roi Hérode de Galilée (Lc 23,7-10), et enfin de ce dernier à nouveau au palais de Pilate (Lc 23,11). Ceci dans les Evangiles selon Matthieu, Marc et Luc ; car dans l’Evangile selon Jean, les trois trajets accomplis par Jésus le mènent successivement au siège du grand-prêtre juif Anne, puis au siège de Caïphe, et enfin au palais de Pilate (Jn 18,12-29). Il semble donc que le « palais mosaïque » dessiné sur le tableau de loge de maître représentait en une figure unique les palais respectifs d’Anne, de Caïphe, d’Hérode, et de Ponce-Pilate.

La houppe dentelée

Si dans le tableau de loge d’apprenti-compagnon la houppe dentelée ou corde à nœuds assortie à ses extrêmités de franges renvoyait probablement aux filets qui entouraient les chapiteaux ornés de lotus et de grenades au sommet des deux colonnes Yakin et Boaz (cf. I Rois 7,17 ; filets fort comparables à ceux qui dans les vergers contemporains entourent les cerisiers pour empêcher les oiseaux de picorer ces fruits), la référence de la légende d’Hiram à la Passion de Jésus de Nazareth nous invite à interpréter la houppe dentelée évoquée par Pérau dans le contexte du tableau de loge de maître comme une référence tant à la corde avec laquelle Judas se serait pendu (Mt. 27,5) qu’à la corde avec laquelle on lia Jésus ( Jn 18,12.24 ; Mt. 27,2).

Le dais parsemé d’étoiles et la perpendiculaire ou fil à plomb

Le rituel de la Grande loge de Londres (Samuel PRICHARD, Masonry dissected, 1730) affirmait que la loge est recouverte d’un dais de nuages pour signifier qu’elle se tient à ciel ouvert dans le parvis du temple de Salomon. Or ce passage de la Maçonnerie disséquée ne faisait que reprendre un passage analogue du Wilkinson (1727) où, comme je l’ai montré dans Temple de Salomon et diagrammes symboliques, la hauteur céleste de la loge faisait référence à la hauteur de l’échelle le long de laquelle, une nuit (d’où la mention du « dais parsemé d’étoiles »), Jacob avait vu les anges (c’est à dire les kerouvîm) monter vers YHVH (c’est à dire vers les seraphîm) et descendre (allusion aux quatre modalités typiques de la charité témoignant des seraphîm). Or il semble bien que la perpendiculaire (ou fil à plomb) évoquée par Pérau tout de suite après sa mention du « dais parsemé d’étoiles » faisait référence à cette verticalité de l’échelle céleste au long de laquelle Jacob avait vu les anges monter et descendre.

Le tombeau d’Hiram

Hiram étant dans la légende maçonnique éponyme une allégorie de Jésus de Nazareth, le tombeau d’Hiram était donc une allégorie pour désigner le sépulcre de Joseph d’Arimathie dans lequel ce dernier, aidé de Nicodème, avait placé le corps défunt de Jésus de Nazareth (Mt. 27,57-60 ; Jn 19,38-42).

Lisons à présent la seconde description verbale du tableau de loge de maître par Pérau :

« Dans la chambre où se fait cette cérémonie, on trace sur le plancher la loge du maître qui est la forme d’un cercueil entouré de larmes. Sur l’un des bouts du cercueil on dessine une tête de mort ; sur l’autre, deux os en sautoir ; et l’on écrit au milieu Jehova, ancien mot du maître. Devant le cercueil on trace un compas ouvert ; à l’autre bout, une équerre ; et à main droite, une montagne sur le sommet de laquelle est une branche d’acacia ; et l’on marque, comme sur la loge de l’apprenti-compagnon, les quatre points cardinaux. On illumine ce dessin de neuf bougies, savoir trois à l’orient, trois au midi, et trois à l’occident » 2.

Dans cette description le cercueil ne constitue pas un élément nouveau dans la mesure où il ne fait que reprendre la figure du tombeau d’Hiram mentionnée dans le passage précédent. Abordons donc à présent les figures qui dans cette seconde description du tableau de loge de maître apportent des éléments nouveaux.

Les larmes

J’ai montré dans mon livre sur les tableaux de loge que la légende maçonnique du meurtre d’Hiram par trois mauvais compagnons était une allégorie de la Passion/résurrection de Jésus de Nazareth condamné à mort par trois hommes : Caïphe, Hérode, et Ponce-Pilate. Dans le contexte de cette référence de la légende d’Hiram à la Passion de Jésus de Nazareth, les larmes du tableau de loge de maître renvoyaient aux larmes de l’apôtre Pierre (Mt. 26,75), aux larmes des disciples de Jésus (Mc 16,10), aux larmes des femmes de Jérusalem (Lc 23,27-28), ainsi qu’aux larmes de Marie de Magdala (Jn 20,11.13.15). La tête de mort Dans le contexte de la référence de la légende d’Hiram à la Passion de Jésus de Nazareth, la tête de mort du tableau de loge de maître renvoyait à la mention évangélique du Golgotha (mot hébreu signifiant « tête ») où Jésus de Nazareth fut crucifié et mourut (Mt. 27,33).

Les deux os en sautoir

Dans le même contexte christique de la légende d’Hiram, les deux os en sautoir (c’est à dire en forme de croix : référence probable à la croix de Jésus de Nazareth) faisaient probablement référence aux deux mentions des os qui apparaissent dans deux versets des Evangiles de la Passion : Lc 24,39 (« Palpez-moi et voyez qu’un esprit n’a ni chair ni os ») et Jn 19,36 (« Car cela est arrivé pour que l’Ecriture s’accomplît : Aucun de ses os ne sera brisé »).

Jehova

Le nom divin Jehova (en hébreu : Yehovah, mot signifiant « Etre éternel »), qui se trouve exprimé en Ex. 3,14 sous la forme « Je serai ce que je serai », a inspiré à Jésus de Nazareth une parole qu’il a prononcée trois fois au cours de sa Passion : « Je suis » ou encore « C’est moi » (ego eimi : Mc 14,62 ; Jn 18,5-8). Il semble donc que si le nom divin Jehova (exprimé en Ex. 3,14 sous la forme « Je serai ») était inscrit sur le tableau de loge de maître dans le contexte d’une légende d’Hiram qui n’était qu’une allégorie de la Passion de Jésus de Nazareth, c’est parce que ce nom divin Jehova était une allusion au « Je suis » ou au « C’est moi » (ego eimi) prononcé à trois reprises par Jésus de Nazareth au cours de sa Passion. Fait qui achève de confirmer de manière définitive la portée explicitement ontologique qui était déjà celle de la légende d’Hiram de 1730 (Samuel PRICHARD, Masonry dissected), alors même qu’au début du XIX° siècle, en osant faire disparaître le nom divin Jehova sur les tableaux de loge de maître qu’ils publient, les défenseurs du rite écossais ancien et accepté Delaulnaye et Vuillaume occulteront ce faisant la portée ontologique de la légende d’Hiram propre au degré de maître, trahissant ainsi de manière éhontée leur altération du rite (en réalité du rite du Mot de maçon) dont les commandeurs du REAA prétendront être les conservateurs. Belle morale !

Le compas ouvert

Dans les catéchismes maçonniques antérieurs (rituels du Mot de maçon), le compas symbolisait YHVH (« Etre éternel ») qui était apparu à Jacob au sommet de l’échelle céleste (Gen. 28,13). Nous avons vu plus haut que dans la première description verbale du tableau de loge de maître, Pérau mentionnait le « dais parsemé d’étoiles » et la perpendiculaire ou fil à plomb, qui dans la tradition des catéchismes maçonniques renvoyaient tous deux à l’échelle de Jacob. C’est pourquoi il semble bien que le « compas ouvert » mentionné par Pérau dans sa seconde description verbale du tableau de loge de maître symbolisait YHVH qui était apparu à Jacob au sommet de l’échelle céleste ; échelle céleste à laquelle Jésus de Nazareth avait précisément comparé par avance la croix sur laquelle il mourrait (comparer Jn 1,51 avec Gen. 28,11-13).

L’équerre

Dans le catéchisme maçonnique Sloane n° 3329 (1700), l’équerre représentait la croix de Jésus de Nazareth. Le tableau de loge de maître renvoyant à la Passion de Jésus de Nazareth en raison de la référence de la légende d’Hiram à cette même Passion christique, nous devons en conclure que dans le tableau de loge de maître, l’équerre représentait encore la croix sur laquelle Jésus de Nazareth fut crucifié (Mt. 27,32). La montagne dotée à son sommet d’une branche d’acacia La légende maçonnique d’Hiram étant une allégorie de la Passion de Jésus de Nazareth, nous devons en conclure que sur le tableau de loge de maître, la montagne dotée à son sommet d’une branche d’acacia faisait probablement référence au jardin du mont des oliviers : en effet Jésus de Nazareth fut crucifié près du jardin où il fut enterré (Jn 19,41), et ce jardin semble être celui où il se rendit avec ses disciples après la dernière cène et où il fut arrêté (Jn 18,1-2), jardin qui se situait précisément sur le mont des oliviers (Mt. 26,30). Les quatre points cardinaux et les neuf bougies disposées trois à l’orient, trois au midi, et trois à l’occident.

Pérau mentionne les « quatre points cardinaux » avant d’associer à des bougies trois de ces quatre points cardinaux parcourus chaque jour par le soleil. Le tableau de loge de maître étant comme la légende maçonnique d’Hiram qui lui est associée une représentation allégorique de la Passion/résurrection de Jésus de Nazareth, nous devons en conclure que les trois bougies placées à l’orient faisaient référence à la crucifixion de Jésus de Nazareth lors de la troisième heure (Mc 15,25), cependant que les trois bougies placées au midi et les trois bougies placées à l’occident faisaient référence aux ténèbres qui s’étaient abattues sur le Golgotha depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième heure, heure de la mort de Jésus de Nazareth sur la croix (Mt. 27,45-50). Quant au nord du tableau de loge de maître où aucune bougie ne se trouvait placée, faisait-il référence à la nuit pendant laquelle Jésus de Nazareth avait agonisé à Getsémani (Mt. 26,36-46), ou bien à l’aurore naissante de la résurrection (Mt. 28,1) ?

 

NOTES

1. Gabriel-Louis PERAU, L’Ordre des francs-maçons trahi, Amsterdam 1745, rééd. Genève-Paris, Slatkine 1980, p. 45. 2. Ibid., p. 70-71.



20/05/2007
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