NAUVOO LODGE

NAUVOO LODGE

Maître Eckhart

M A î T R E    E C K H A R T

 

 

Alexandre von SAENGER

 

 

Toute forme mystique non vécue est difficilement transmissible car l'imperfection de l'état humain est source de subjectivité laissant les champs libres à la « spéculation intellectuelle », laquelle est incompatible avec le concept de réalisation spirituelle. Aussi une honnêteté dans l'approche de la Vérité réside-t-elle dans un compromis. Le mysticisme d'un être humain ne regarde que lui et nul ne peut y pénétrer.

 

      Afin de ne pas tomber dans les élucubrations ténébreuses ou celui qui explique se croit extérieurement humble et intérieurement content de lui, je vais essayer d'être le plus simple possible en vous proposant au travers des textes écrits par Maître Eckhart, une image et surtout un désir d'étude de la pensée de ce grand chercheur de Dieu.

 

       Bien des ouvrages, notamment en langue allemande, ont été écrits sur Maître Eckhart et ses commentateurs ont été nombreux. La pensée de Maître Eckhart à la réputation d'être difficile. Il semble que, à part quelques ouvrages très savants et très objectifs, l'on se soit ingénié à la compliquer par des interprétations inspirées de la gnose, du panthéisme, de l'hégélianisme, de la théosophie - de quelles autres doctrines encore - ou au contraire en la ramenant par toutes sortes de subtilités à la stricte doctrine thomiste. Chacun a voulu dans son Ecole en faire un peu son parrain.  

 

 

      Maître Eckhart est né en 1260 à Thuringe. Dominicain, il est professeur à Paris et à Cologne, vicaire du Général de son Ordre, parcourant l'Europe pour fonder des couvents et les visiter.

 

      Il est impossible de classer sa doctrine, l'homme lui-même échappe à toute catégorie.

 

                    

      Frère Prêcheur, il dépasse les limites de sa famille religieuse. Occidental, il s'apparente aux sages de l'Orient car il connaît les traditions juives et arabes, les oeuvres des philosophes arabes, surtout Avicenne (980-1036) et Averroès (1126-1198) et celles des philosophes juifs dont Maimonide (1135-1204) avec son guide des Egarés, donnèrent d'Aristote une meilleures connaissance grâce aux traductions latines de leurs oeuvres faites en Espagne au début du XIIIe siècle.

 

      Maître Eckhart, dans ces écrits latins, cite souvent tous ces auteurs. Eckhart n'est pas un compilateur et il échappe à toute systématisation. L'Eglise restera réservée à son égard et le pape Jean XXII condamnera certaines de ses propositions.

 

       Maître Eckhart a laissé une oeuvre latine et une oeuvre allemande. L’œuvre latine a une grande importance parce qu'elle représente la base doctrinale, méthodiquement exposée des sermons et traités allemands. Maître Eckhart disparaît derrière son oeuvre. Seul Suso nous apporte quelques reflets de lui. Aucune anecdote ne le situe, pour nous, dans la vie publique et privée.

 

      Il faut donc se méfier des légendes entourant le personnage. Il rentrera en pleine lumière à partir de 1326, il mourra entre juillet 1327 et le début 1328 à Cologne, peut être voire en quelques étapes de la route qui le reconduisait d'Avignon à sa province d'Allemagne. le lieu est incertain et la date presque aussi imprécise que celle de sa naissance.

 

      Afin de mieux comprendre Maître Eckhart laissons lui la parole. Ce qui suit est extrait des Instructions Spirituelles rédigées en allemand alors qu'il était prieur d'Erfurt et vicaire de Thuringe (avant 1298). Les thèmes essentiels de ces oeuvres ultérieures se trouvent en germe dans les Instructions spirituelles.

 

      « Celui qui est tel qu'il doit être, a Dieu près de lui en vérité et celui qui possède Dieu en vérité le possède en tous lieux, dans la rue et avec n'importe qui aussi bien qu'à

L'Eglise, dans la solitude ou dans sa cellule. S'il le possède véritablement et lui seulement, nul ne peut lui être un obstacle ...

 

      ...Rien ne te manquera si tu possèdes une volonté vraie et droite : ni l'amour, ni l'humilité, ni aucune vertu. Mais ce que tu veux fortement et de toute ta volonté, tu le possèdes et ni Dieu, ni aucune créature ne peut te l'enlever, pourvu que ta volonté soit entière et véritablement divine et appliquée au présent... La volonté est parfaite et droite, quand elle s'est totalement désappropriée, dépouillée d'elle même, modelée et formée sur la volonté de Dieu. Oui, plus il en est ainsi, plus la volonté est droite et vraie. Et dans cette volonté, tu peux tout, amour ou quoique tu veuilles...

 

      ...Il faut que l'homme apprenne à coopérer avec son Dieu. Non qu'il faille s'échapper de son intérieur, ou s'en détacher, ou y renoncer, mais en lui, avec lui et par lui, on doit apprendre à agir en sorte que l'intériorité se manifeste dans l'opération extérieure, que l'on réintroduise l'opération extérieure dans l'intériorité et que l'on s'habitue à agir sans contrainte.

 

      Car on doit tourner son regard vers cette opération antérieure et agir à partir de là, que ce soit lire, prier, ou s'il convient, à accomplir des oeuvres extérieures. Si l’œuvre extérieure trouble l'opération antérieure, que l'on suive la voie antérieure. Mais si les deux pouvaient être unies, ce serait la meilleure manière de coopérer avec Dieu.

 

      ...Il ne faut pas agir en considération d'une récompense, ni avoir le moins du monde en vue ce que l'on va gagner ou recevoir, mais uniquement l'amour de la vertu. Car plus on est dépouillé, plus on possède. Comme dit Saint Paul : nous devons posséder comme ne possédant pas et pourtant posséder toutes choses ...

 

      Si l'on peut donner un nom à la mystique de Maître Eckhart on pourrait l'appeler la mystique de la pauvreté en esprit ; cette pauvreté à laquelle fait allusion une des Béatitudes en disant « Bienheureux les pauvres en esprit car le royaume des cieux leur appartient ». (Mathieu V.3).

 

      Lorsque le profane frappe à la porte du Temple, il est dépouillé de ses métaux. Cela ne veut pas dire qu'il lui est enlevé ce qu'il possède. On n'enlève pas à l'être ce qu'il est, lui est enlevé ce qu'il n'est pas.

 

      Sortir de soi , c'est être transparent pour laisser passer la lumière, l'âme peut alors entendre Dieu et converser avec lui dans une parfaite unité. Eckhard distingue Dieu (Gott) de la divinité (Gottheit).

 

      De Dieu il est possible d'en parler en se référant à ses attributs et à son oeuvre créatrice. A l'égard de la Divinité rien ne peut être dit.

 

      Eckhart s'attriste du bavardage sur Dieu. L'homme a pour but de devenir un temple vide habité par Dieu et il n'existe à l'intérieur rien d'autre que lui seul.

 

        Henri Corbin écrit : « Maître Eckhart revient sur le thème du temple. Ce qui fait la noblesse de l'âme humaine, c'est qu'elle porte l'image Dei (idée éckartienne de l'homme noble) et c'est comme telle qu'elle est le temple, le temple dont il faut chasser tous ces marchands et ces trafiquants. Car Dieu veut que ce temple soit vide afin qu'il n'y ait rien d'autre à l'intérieur que lui seul. C'est parce que ce temple lui plaît tant, du fait qu'il lui est si semblable et qu'il se plaid si bien dans ce temple quand il s'y trouve seul ». Sermon.

 

      Tout cela n'est pas sans rappeler celle qui est le précurseur de cette mystique rhénane, Catherine de Sienne. Cette femme qui ne choisit ni le mariage, ni le cloître voulait une cellule ni de pierre, ni de bois, mais seulement de connaissance d'elle-même. La connaissance n'est pas un quelconque système de concepts, une combinaison de formules, un solennel tintamarre de mots mais une révélation antérieure, expérimentation de la parole du Maître Intérieur qui guide l'âme sur le chemin de la Vérité.

 

   - « Souvenez-vous de Moi, je me souviendrai de vous ».

                               (Coran II.147).

 

      - « O hommes, vous êtes les pauvres envers Dieu et Dieu lui est le Riche, le Glorieux ». (Coran XXXIV).

 

      Nous retrouvons cette idée de Maître Intérieur de la différence entre Dieu dont on peut imaginer « l'Oeuvre créatrice » et la déité bien énoncée dans le témoignage de l'Islam « Lah illaha illallah », abusivement traduit par « il n'y a de Dieu que Dieu » alors que Allah est la Divinité, principe créateur universel, Grand Architecte de l'Univers.

 

      Ma conclusion sera donnée par le maître soufi Al Arabi Ad Darqawi (mort en 1823) « Quand ton cœur se vide des êtres, il se remplit de l'Etre, et dès lors, l'amour naît entre toi et les autres êtres. Si tu agis purement envers ton créateur, toutes les créatures te manifesteront leur bienveillance (...).

 

      Celui qui s'arrête à l'opinion n'atteint jamais la réalisation. La sincérité dans l'action et dans les paroles détruit les doutes et les soucis et affirme la conscience de l'unité divine dans le cœur de celui qui la pratique continuellement. (...) Tu n'atteindras pas le but auquel tu aspires aussi longtemps que les gens ont encore des louanges pour toi.

 

      Tu ne goûteras pas la nourriture de la foi avant que tu ne sortes des mondes créés. Tu n'atteindras l'extinction en Dieu qu'après être mort au monde évanescent.

 

      - Si les voiles seraient retirés devant toi, tu contemplerais le Bien Aimé en toi-même.

 

- Si les suggestions de l'imagination cessaient, tu contemplerais l'Eternel sans cesse.

 

      - Si ton âme ne t'éloignerait pas de Lui, tu ne verrais aucune réalité excepté ton Seigneur.

 

      - Si ton âme était libre de souillure, la Vérité viendrait et la vanité disparaîtrai ».

 

 

 

A.v.S.

 

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Bibliographie:

Les ouvrages de référence en langue française ayant servi à ce travail sont :

 

- Maître Eckhard et la Mystique Rhénane

 par Jeanne Ancelet Hustache (Seuil)

- Traités et Sermons (les Introuvables)

- l'Encyclopédie des Mystiques de chez Seghers pour le 

 personnage historique

- Temple et Contemplation de Henri Corbin (Flammarion)

 



27/05/2007
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