Vérité et éthique
LA VERITE
Un fait généralement admis de nos jours est que tout est relatif, une question d'opinion personnelle, qu'il n'y a pas de vérité ou de fait indépendant de la perception personnelle.
Il faut cependant faire l'effort de découvrir soi-même, en dehors de ses opinions personnelles, de ses perceptions, de ses expériences, qui sont toujours relatives, s'il existe une perception, une vision qui corresponde à la vérité absolue, non relative. Comment le savoir? Si on dit que les opinions personnelles et les perceptions sont relatives, alors la vérité absolue n'existe pas, tout est relatif. Par voie de conséquence, notre conduite, nos manières, notre mode de vie sont relatifs, fortuits, incomplets, non pas entiers mais fragmentaires.
Comment découvrir s'il existe une vérité absolue, complète, qui ne s'altère jamais dans le climat des opinions personnelles? Comment l'esprit, l'intellect, la pensée vont-ils procéder ?
La réalité est ce qui a lieu, qu'on appelle cela bon ou mauvais. Quand on est incapable d'affronter cela en soi, on se crée des illusions pour s'en évader. Si on ne veut pas faire face à ce qui se passe réellement, ou bien qu'on a peur de le faire, cet acte même de l'éviter crée l'illusion, une forme de fantasme, un mouvement artificiel qui permet de fuir la réalité. Pour ne pas créer l'illusion, il est indispensable de faire face et d'accepter la réalité telle qu'elle nous est offerte, à son état brut. Les jugements par l'intermédiaire d'une opinion personnelle vont à l'encontre d'une observation dépassionnée de la réalité.
Partir à la recherche de la vérité, c'est déjà s'en éloigner, car cet acte fait intervenir la notion de jugement personnel avec le flot d'illusion qui l'accompagne.
Pour illustrer à quel point la prétention de connaître la vérité est illusoire, et à quel point le jugement personnel peut déformer la réalité, j'ai choisi de vous lire une petite allégorie sous la forme d'un compte soufi écrit au douzième siècle.
"On avait parqué un éléphant venant de l'Inde dans une étable obscure. La population, curieuse de connaître un tel animal se précipita dans l'étable. Comme on y voyait guère à cause du manque de lumière, les gens se mirent à toucher l'animal. L'un d'eux toucha la trompe et dit:
- Cet animal ressemble à un énorme tuyau!
Un autre toucha les oreilles:
- On dirait plutôt un grand éventail!
Un autre qui touchait les pattes, dit:
Non! Ce que l'on appelle un éléphant, est bel et bien une espèce de colonne!
Et ainsi chacun d'eux se mit à le décrire à sa manière. Il est bien dommage qu'ils n'aient pas eu une bougie pour se mettre d'accord."
De l'éthique en général et de l'éthique maçonnique en particulier
L’Éthique est un ensemble de règles de conduite et de comportement qui permettent aux individus de vivre selon des normes acceptées et nécessaires au bon fonctionnement de la société. Aucune société ne peut se passer d’une Éthique qui constitue un ensemble de normes et de références communes. Ces normes se rapportent à la façon avec laquelle nous devons organiser de manière satisfaisante notre vie en société. Ainsi, une vie sans Éthique est une vie sans fondement et sans signification. Elle ne peut être vivable, car comment peut-on vivre sans que notre vie ne soit subordonnée à des fins qui nous dépassent et qui constituent notre Être social, un Être en devenir.
Bien que l’Éthique peut varier d’une société à une autre et d’une époque à une autre, elle varie également dans sa signification philosophique. Pour Aristote (discipline de Platon), le bonheur et le but de la vie, Dans L’Ethique à Nicomaque (fin du IVe siècle), Aristote considère la quête du bonheur comme une activité propre à l’Homme. C’est ce qu’on peut appeler la philosophie hédoniste. A côté, il y a également le stoïcisme, philosophie développée vers 300 av. J.-C et selon laquelle seule une vie menée en harmonie avec la nature peut être bonne. Les stoïciens recommandent à chacun de s’affranchir de l’emprise des forces matérielles et de s’en rendre indépendant. Pour cela, il faut une sagesse pratique, du courage et du discernement.
Les règles éthiques, quelles qu’elles soient sont donc au fondement de l’action humaine, en tant qu’elle est énergie orientée et sous-tendue par un projet. Ces règles supposent bien entendu la liberté individuelle, celle de concevoir, d’entreprendre et d’édifier. Mais la liberté n’est pas l’absence de règles. Pour que notre liberté soit constructive, elle doit être subordonnée à l’éthique de la conscience, conscience de nos capacités, mais aussi de nos limites. Cela implique un effort renouvelé de perfectionnement intellectuel et moral, et de coopération avec les autres. Cette liberté doit être également subordonnée à l’éthique de la responsabilité, d’abord à l’égard de nous-mêmes, puis à l’égard des autres et de l’universel. C’est ce que Socrate appelle la vertu. Pour ce dernier, l’éducation du citoyen doit être axée sur l’enseignement de la vertu en développant le sens de l’éthique chez les hommes et les femmes.
Pour sa part, la Franc-Maçonnerie nous donne des outils qui nous aident à aller à la recherche de nous-même pour travailler notre pierre brute. Elle n’exige pas de nous qu’on renonce à ce que nous sommes, ni à notre liberté. Elle nous dit qu’on peut s’améliorer, à condition qu’on se pense comme des êtres autonomes, responsables et raisonnables ; des êtres qui doivent laisser parler leur cœur et qui doivent travailler à leur propre édification. Certes, les Francs-Maçons sont des êtres sociaux qui ont des appartenances culturelles, religieuses et politiques, mais ils doivent cependant se déprendre de leurs appartenances particulières. Ils doivent se penser comme faisant partie de l’humanité et d’abord comme appartenant à la communauté des Francs-Maçons, la communauté de ceux qui ont décidé en toute connaissance de cause de se consacrer au travail personnel dans un environnement spécifique.
Le second aspect de la philosophie maçonnique concerne le travail, la vertu de l’effort et la persévérance. Richard Dupuy écrit: "Nous croyons dans l’efficacité de l’effort et dans la vertu du travail. Nous croyons dur comme fer que par son effort et par son travail, l’homme est capable de surmonter toutes les épreuves qui lui sont destinées dans un monde à sa mesure et dont il est partie totale": c’est ce que cet auteur appelle "la philosophie du Meiester". Dans la Maçonnerie symbolique, ce travail consiste dans la recherche de la Vérité, recherche qui ne veut pas dire qu’il y aurait des vérités toutes faites que le Franc-Maçon devrait découvrir. D’une certaine manière, le Franc-Maçon est un chercheur de vérité sans carte ni cadre préétabli, ni guide rédigé, sans maître qui saurait la vérité, ni gourou capable de tenir la main. Il cherche lui-même Sa vérité en traçant lui-même les cartes des territoires inconnus qu’il veut explorer, en utilisant la "méthode maçonnique".
La recherche de la vérité est en réalité une quête permanente pour laquelle le Franc-Maçon s’appuie sur ses Frères de la Chaîne. Dans La Franc-Maçonnerie et ses principes, énoncés par le Grand Orient de Suisse, on peut lire ceci: "Les Francs-Maçons n’acceptent aucune entrave et ne s’assignent aucune limite dans la recherche constante de la vérité et de la justice". Cette quête implique les voyages et la recherche; elle est soutenue par une éthique du nomade, du voyageur et du passant dans la vie. Par le travail sur soi-même d’abord et avec l’aide de ses Frères, le Franc-Maçon surmonte les épreuves et se libère des fausses certitudes. Par la pratique de l’art de la Pensée, il peut construire patiemment l’édifice de ses propres convictions. En quelque sorte, il bâtît lui-même son temple intérieur. Liberté et construction sont deux idées essentielles dans la Franc-Maçonnerie.
A l’instar de la philosophie antique, telle que la concevait Socrate et qui se confond avec la pratique de la vertu, le sens véritable de la Franc-Maçonnerie c’est qu’elle se confond avec une ascèse et une Ethique. C’est en fait un genre de vie, une manière d’être et se comporter, une Ethique déterminée par le désir de connaissance, mais d’une connaissance qui s’acquiert par une manière d’être au monde (être Fran-Maçon c’est apprendre à passer du verbe avoir au verbe être). C’est l’union du savoir et de la vertu, de la connaissance et de la vie. C’est en cela que la Maçonnerie rejoint la philosophie antique où la philosophie avant d’être philosophie était d’abord un "genre de vie philosophique", une sorte d’aspiration constante à la perfection et à la sagesse.
De même que la philosophie est amour de la sagesse (Philo-Sophia), la philosophique maçonnique est amour de la vérité en tant que recherche et construction au moyen de la méthode a-dogmatique. Si le philosophe est par vocation un éducateur dont la mission est de cultiver et élever les esprits afin de les rendre plus vertueux, le Franc-Maçon est un bâtisseur qui construit son temple intérieur en utilisant les outils symboliques. En association avec ses Frères, il s’efforce de construire une société meilleure où les êtres humains peuvent, par leur effort personnel, atteindre la sagesse, du moins s’en rapprocher. Le Franc-Maçon poursuit l’édification du Temple symbolique et universel, jamais achevé et mille fois recommencé.
Ainsi, loin de participer d’une philosophie pessimiste ce qui pourrait sembler être le cas selon certains, la Franc-Maçonnerie s’inscrit dans la perspective d’une philosophie optimiste. L’homme peut et doit s’améliorer parce qu’il peut être meilleur que ce qu’il est. Dans le prolongement de l’humanisme, la Franc-Maçonnerie est une philosophie de
progrès, qui rassemble des hommes de bonne volonté, ceux qui ont fait le choix libre de travailler ensemble pour leur propre amélioration et celle de l’humanité. A l’image de l’humanisme d’Erasme, la Franc-Maçonnerie exprime une prise de position philosophique pour l’homme contre toute forme d’oppression intellectuelle, morale ou politique, une prise de position pour un homme libre, responsable et de bonne mœurs qui a décidé de se consacrer à sa propre élévation. Elle exprime donc un optimisme profond dans la capacité de l’homme de s’améliorer par le travail incessant en vue d’atteindre un idéal lointain. Dans cette perspective, la Franc-Maçonnerie rejoint la philosophie antique qui est d’abord un travail sur soi : connais-toi toi même. La Franc-Maçonnerie est à la fois une méthode de recherche de la vérité, mais elle est également une méthode de transformation du monde par la démarche initiatique.En conclusion, l’Ethique maçonnique, c’est l’effort, le travail, la persévérance et la recherche méthodique de la meilleure voie d’accès à la vérité profonde des Etres que nous sommes. Cette quête est constitutive de notre identité de Francs-Maçons. C’est parce que nous sommes à la recherche de nous-mêmes que nous avons l’obligation de travailler à l’édification du Temple universel où régneront la paix, l’harmonie et la fraternité. C’est pour cela que nous sommes et demeurons les « Enfants de la veuve » ; notre devoir est de travailler inlassablement et assidûment en vue de cet objectif. C’est là une des significations les plus profondes de l’Ethique maçonnique que nous avons reçu avec notre Initiation et que nous devons transmettre intacte à ceux qui viendront nous rejoindre dans la Chaîne d’Union.
(Source : Grand Orient de Suisse)
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